07 mai 2022

Ma mère

En général, on est très attaché à sa mère, et pour cause.

Pour commencer on n'a jamais dépendu plus d'une personne humaine qu'on a dépendu d'elle pendant neuf long mois.

Et puis, c'est elle qui nous a mis au monde, et qui, la plupart du temps, nous a nourris, nous a soignés, et a pris soin de nous. En tout cas, moi, c'est mon cas.

Si vous me demandez à quelle période de ma vie je pense en premier quand je veux rendre hommage à ma mère, je vous dirais que ce sont les six années de mon enfance entre mes quatre ans et mes dix ans, six années qui ont été d'une grande richesse en termes de découvertes sur cette femme spéciale, que je considérais alors et que je considère toujours comme mon héroïne.

Je ne le réalisais pas vraiment dans le temps, mais je sais aujourd'hui à quel point ces années-là ont été particulièrement difficiles pour mes parents, qui n'ont pas cessé alors de se démener tous les deux comme des forcenés sur leur ferme pour faire vivre leur famille, une famille qui était rendue à six enfants, en passant, à la fin de la période en question.

Maman avait du coeur au ventre, et du coeur tout court, comme il est difficile d'en avoir plus, je pense. Fatiguée ou non, en forme ou non, malade ou non, elle trimait dur et sans arrêt, de bonne heure le matin jusqu'à tard le soir, en plus de devoir se lever parfois la nuit pour les enfants, comme de raison.

En réalité, les seuls "congés" qu'elle se permettait, c'était parce qu'elle y était obligée, pour accoucher.

Mais qu'est-ce qu'elle faisait donc tant, ma mère? Eh bien, en plus, naturellement, de s'occuper des enfants, des repas, du lavage, et de l'entretien de la maison, elle aidait beaucoup papa sur les travaux courants de la ferme, et ce, c'est quand elle ne le remplaçait pas carrément, comme dans les temps où celui-ci faisait du bois de pulpe sur la terre, ou travaillait à la réparation ou à la construction de bâtiments, par exemple.

Alors, que ce soit pour traire les vaches, ou pour soigner les animaux, ou pour effectuer des travaux de désherbage dans les champs, ou pour travailler à la récolte du foin, ou pour préparer les oeufs pour la vente, elle répondait toujours présente, là où elle pouvait se rendre le moindrement utile.

À voir son acharnement au travail sur la ferme, on pourrait être porté à penser qu'elle négligeait ses enfants, mais il n'en était rien, au contraire, car ce travail-là, c'était pour ses enfants, justement, qu'elle le faisait; ils étaient ni plus ni moins que sa raison de vivre, et ça paraissait.

Alors comment faisait-elle? Eh bien, disons qu'elle maîtrisait très bien l'art de faire plusieurs choses en même temps...

Comme, par exemple, en déposant le bébé que j'étais alors dans une boîte de carton à l'étable quand elle y allait pour traire les vaches, ou en m'emmenant dans les champs en carosse quand elle y allait pour faire du désherbage. Bien sûr, j'étais alors trop jeune pour m'en rendre compte, mais cela m'a été rapporté par des sources dignes de foi.

D'ailleurs, j'ai pu constater par moi-même comment elle s'occupait de mes petits frères et de ma petite soeur, et je peux vous témoigner que ça ressemblait beaucoup à cela.

Et quand je parle de s'occuper de ses enfants, ce n'était pas seulement pour les changer de couches, pour les laver, pour les nourrir, et pour les surveiller; elle prenait aussi du temps pour leur faire découvrir des choses, et pour les amuser.

Et cela me rappelle, justement, de bons souvenirs, comme, par exemple, quand elle nous a montré comment faire des petits sifflets avec du bois de tremble gorgé de sève printanière, ou quand elle nous a montré comment faire des petits "tracteurs" avec des fuseaux de fil à coudre vides en bois, des élastiques, des allumettes en bois, et des rondelles de parafine, ou encore quand elle nous a montré comment faire des petites toupies avec des demi-fuseaux de fil à coudre en bois et des tiges de bois.

Ces petits jouets, et beaucoup d'autres, comme les cerfs-volants, les tire-pois, et les avions en papier, pour n'en nommer que quelques-uns, peuvent nous sembler de bien petits riens aujourd'hui, mais pour nous, dans le temps, ils étaient tout ce qu'il y a de plus précieux, avec une grande valeur ajoutée, d'ailleurs, soit celle de savoir que nous pouvions les fabriquer nous-mêmes.

Elle nous a d'ailleurs habitués à être créatifs pour trouver des solutions quand nous avions des problèmes à résoudre, comme, par exemple, quand nous nous demandions comment faire pour aller chercher les belles pommes qu'il y avait dans les branches du haut de l'immense pommier dans le petit bois en arrière de la maison; cette fois-là, en passant, nous en étions arrivés ensemble à concevoir et à confectionner une longue perche à laquelle nous avions fixé une espèce de loupe en broche pour accrocher les pommes et les tirer, pour les faire tomber.

Et non, elle n'était pas un genre de mère poule qui surprotège ses enfants, car elle nous laissait quand même beaucoup d'espace pour que nous puissions nous épanouir et faire nos petites expériences plus ou moins risquées, comme, par exemple, de monter dans les arbres, et d'aller assez loin tout seuls dans le bois pour cueillir des petits fruits, ou d'aller à la pêche. Elle nous informait des dangers, nous conseillait, et puis elle nous faisait confiance pour le reste.

Bien sûr qu'elle était souvent fatiguée, et c'était facile à voir, surtout quand elle était rendue à bout au point de nous supplier d'arrêter de faire les tannants parce qu'elle n'en pouvait plus de nous endurer.

Nul besoin de vous dire que le message était vite compris, non pas parce qu'elle brandissait de quelconques menaces de punitions, mais parce que nous nous sentions tout simplement incapables de déplaire à une personne qui était aussi bonne et aussi dévouée qu'elle pour nous.

En réalité, s'il fallait que je me mette à vous parler en détail de tout ce que ma mère a été, et de tout ce qu'elle a fait pour moi pendant ces six merveilleuses années, j'en aurais encore pour longtemps; aussi vais-je devoir me retenir un peu ici.

N'empêche que je m'en voudrais de ne pas vous mentionner, pour finir, ce que je considère comme un détail important relié à mon vécu avec ma mère durant cette période bénie pour moi:

Que c'est elle qui m'a appris, et ce, bien avant que j'entre à l'école, les rudiments de l'écriture et du calcul, et surtout que c'est elle qui m'a fait découvrir Dieu comme mon créateur et ma providence, et qui a allumé les toutes premières flammes de mon amour pour lui.

Aujourd'hui, maman n'est plus là.

Elle est partie après une vie bien remplie de 99 ans, et il va sans dire que je me considère chanceux de l'avoir eue comme mère.

Alors oui, merci, mon Dieu, pour la bonne mère que tu m'as donnée!