Moi, j'aime tellement les pommes que je suis allé jusqu'à commettre un vol, enfin, disons, un demi-vol, pour m'en procurer...
Je devais avoir six ans; en tout cas, c'était ma première année scolaire. Nous vivions sur une ferme en campagne, sur un chemin de terre, et l'école était à environ un mille de distance. J'allais à l'école à pied, accompagné la plupart du temps par mes petits voisins St-Pierre et Beaudoin.
Entre la maison et l'école, il y avait une grande côte à monter, puis à redescendre, avec une bonne pente en long des deux côtés du sommet de la côte.
Et pas mal au sommet de la côte, soit à mi-chemin à peu près entre la maison et l'école, il y avait comme une légère courbe en S, ayant sur un côté, par en haut, un énorme cap rocheux ainsi qu'un petit boisé, et sur l'autre côté, par en bas, la ferme de madame Robitaille, dont la maison était située à environ une centaine de pieds du chemin.
Or, un peu en biais de la maison de madame Robitaille, tout juste sur son bord du fossé, il y avait un gros pommier, un pommier qui avait probablement poussé là tout seul, et qui nous exhibait fièrement ses belles pommes, en ce beau temps d'automne.
Il va sans dire que cela nous travaillait pas mal l'esprit, quand nous revenions de l'école, de voir ces belles pommes si près du chemin, et donc si près de nous, mais inaccessibles, parce que les branches du pommier étaient hors d'atteinte à partir du fossé, et qu'il n'était surtout pas question de prendre le risque d'aller sur le terrain de madame Robitaille, car elle avait la réputation bien établie entre nous d'être assez mauvaise.
Alors, ce que nous faisions, c'est que nous commencions d'assez loin, mine de rien, tout en marchant, à observer attentivement les alentours de la maison de madame Robitaille, pour voir si elle n'était pas dans les parages, par hasard, et que, arrivés à la hauteur du fameux pommier, si nous ne l'avions toujours pas vue, nous sautions dans le fossé dans l'espoir d'y trouver de belles pommes tombées.
Une fois, je l'ai tout à coup aperçue au loin, alors que j'étais justement en train de chercher des pommes dans le fossé. Je ne sais pas si elle m'a vue à ce moment-là, mais je t'ai eu une de ces frousses! En tout cas, j'ai bondi tout d'un coup en dehors du fossé, et je me suis mis à courir à toutes jambes, et aussi loin que possible pour me sauver. Si elle m'a vue à ce moment-là, je ne sais pas, mais au moins, j'étais sauf; j'étais sauf, oui, mais je tremblais comme une feuille, tellement j'en étais remué.
Cela ne m'a pas guéri, toutefois, puisque j'ai commencé à récidiver quelques jours après, en redoublant de précautions, évidemment. Cela a marché quelque temps, mais un bon jour, madame Robitaille est soudainement apparue tout près de nous, comme venue de nulle part, et elle nous a pris en plein "la main dans le sac".
Oops!, mais il était clairement trop tard pour se sauver, cette fois, et surtout, c'aurait été un magistral aveu de culpabilité que de ce faire. Alors, j'ai eu le réflexe de jouer à l'innocent et de feindre de ne pas être surpris, en tentant de minimiser l'offense: je lui ai dit que nous ne faisions que prendre les pommes tombées dans le fossé, que nous ne savions pas que ces pommes-là lui appartenaient, et que, de toute façon, elles étaient meurtries et commençaient déjà à se gâter.
Et vous savez quoi? Ça a marché! Elle a simplement rajouté que ces pommes-là n'étaient même pas mûres, et surtout, elle n'a pas parlé de le dire à nos parents. Imaginez le soulagement! En réalité, je pense aujourd'hui qu'elle voulait simplement, par son apparution surprise, marquer son territoire, et nous montrer qu'elle nous avait à l'oeil, et surtout, qu'elle ne nous laisserait pas cueillir des pommes dans le pommier.
Reste quand même que j'ai certainement commis au moins un demi-vol, mettons, au moment où j'ai pris ces pommes, car je pensais alors, dans ma petite conscience, qu'il se pouvait qu'elles appartiennent à Mme Robitaille, même si elles étaient tombées dans le fossé.
Ne croyez pas cependant que je sois devenu un voleur de pommes, car je n'ai jamais cueilli une seule pomme de toute ma vie dans un pommier cultivé qui ne m'appartenait pas, sans en avoir eu la permission au préalable.
Et ce n'est pas parce que je n'aime pas les pommes, au contraire. En fait, les pommes sont pour moi de véritables bonbons de Dieu.
Des bonbons nourissants, bons au goût, et bons pour la santé, des qualités qui ne se retrouvent pas nécessairement ensemble dans les bonbons ordinaires, comme vous le savez déjà sans doute vous-mêmes, d'ailleurs, j'imagine...
Un vrai beau cadeau de Dieu, quoi!
Alors, oui, merci, mon Dieu, pour les pommes!